L' ECOLE du FOUR 

Nous étions 80 dans notre classe, me disait-elle. M. Loubet n'était pas tendre. Les punitions corporelles, gifles, coups de pied au derrière, pleuvaient. Il terrorisait ses élèves, aussi étaient-ils attentifs, studieux et sages. A moi, il ne m'a jamais touchée. N'en déplaise aux '"pédagos" férus de méthodes modernes, ce maître obtenait des résultats, qu'ils ne sauraient atteindre placés dans les mêmes conditions.

Quand il quittait l'école, fréquentée avec plus ou moins d'assiduité, chaque enfant savait lire, écrire et compter. Jules Ferry avait envoyé dans les coins les plus reculés de France, ces pionniers de la langue française, qui devaient répandre l'instruction. Ils s'en acquittaient avec conscience. Peu importe la méthode (un peu sévère malgré tout dans ce cas précis) même avec 80 gosses le but était atteint. Chapeau, M. Loubet !

Parmi les grands, il choisissait ceux qui lisaient le mieux, et leur déléguait ses pouvoirs auprès des petits, pendant que lui-même s'occupait du plus grand nombre. Par groupe de six, le moniteur les appelait devant le tableau noir, ils devaient apprendre par cœur et reproduire les lettres qui y figuraient. Le soir, avant la sortie souvent tardive, le maître s'assurait par lui-même que la leçon était sue. C'est ainsi que ma mère eut comme moniteur, un garçon de quatre ans son aîné et qui devint plus tard son mari.

Ce maître consciencieux comparait un enfant à une plante : "Parfois, disait-il, la plante pousse de travers, on la redresse en lui adjoignant un tuteur. Il en est de même pour les enfants ; tous ne se développent pas harmonieusement, ils ne sont pas naturellement parfaits, ceux-là il faut les conduire de main ferme afin qu'ils deviennent des hommes".

L'instituteur, dans le village, jouissait d'une grande considération. On le respectait, on l'admirait pour ses connaissances. On l'appelait : "Monsieur", et quand il le rencontrait, le paysan quel que fût son âge, enlevait son béret pour le saluer.

Voici comment il parvint à mater la forte tête de sa classe, qui s'appelait bizarrement Clément. C'était un opposant ; il s'ingéniait à faire sournoisement tout ce qui était interdit. Un matin ayant obtenu la permission de se rendre au W-C, il s'introduisit dans la cave de l'instituteur et but à même le baril de vin qu'il découvrit. S'il sut ouvrir le robinet, il ne sut pas le refermer, et tout le vin se répandit sur le sol en terre battue. Découvrir le coupable fut assez facile, lui seul était sorti.

Le maître alors saisit Clément et le tenant par les pieds, le suspendit la tête en bas, à l'extérieur d'une fenêtre de la classe située au second étage. "Et rends, cochon, rends-le ce vin que tu as volé", disait-il.

Les élèves terrorisés, contemplaient la scène et se demandaient si leur condisciple n'allait pas être lâché dans le vide et s'écraser quelques dix mètres plus bas. 

En tout cas, ajoutait ma mère, la leçon dut porter ses fruits, puisqu'il n'y eut pas par la suite, d'écolier plus docile que lui.

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